En 2020 débute le projet de restauration d’un Livre pour sortir au jour (ou Livre des Morts), papyrus d’un recueil sacré égyptien datant du XIe – Xe s. avant notre ère.
Ces travaux réalisés grâce au soutien d’Optima Climatisation permettront d’arrêter les dégradations actuelles du document, ainsi qu’une étude plus approfondie de son contenu par les égyptologues.
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Le projet de restauration du Papyrus Bodmer 101 (PB101 – « Livre pour sortir au jour » ou « Livre des Morts » égyptien) a commencé en juillet 2020. Ce document datant du XIe – Xe av. J.-C. (Thèbes) fut acquis par le collectionneur Martin Bodmer dans les années 30. Il fait désormais partie de sa collection conservée à la Fondation, classée UNESCO en 2015.
Suite à des traitements reçus à la fin du XIXe – XXe siècle – à l’époque tout à fait communs mais constatés nuisibles de nos jours pour le papyrus – ce document présente des dégradations des fibres et des pigments qui parfois gênent la visualisation des signes et vignettes. Le projet de restauration de ce papyrus qui durera environ une année permettra de consolider le matériel afin de stopper les dégradations constatées aujourd’hui. Également, ce travail donnera également l’occasion à des égyptologues de procéder à une analyse plus complète du document et de son contenu.
« Nous sommes heureux de pouvoir mener à terme ce projet. Si la conservation de la collection réunie par Martin Bodmer est au cœur de notre Fondation, sa récupération pour la rendre accessible au grand public ne l’est moins. Les mécénats comme celui d’Optima Climatisation dans le cadre de ce projet sont cruciaux pour que nous puissions continuer à développer notre vocation de diffusion culturelle », a indiqué le Professeur Jacques Berchtold, Directeur de la Fondation Martin Bodmer.
De son côté, David Cussonneau, Administrateur d’Optima Climatisation, affirme : « L’égyptologie est fascinante et lorsque la Fondation Martin Bodmer m’a proposé de participer à la restauration du papyrus du Livre des Morts, j’ai immédiatement accepté. Je suis très honoré de pouvoir contribuer à la conservation de ce papyrus. Le travail de restauration que demande une telle œuvre de par son analyse, sa minutie, s’inscrit tout à fait dans les valeurs d’Optima Climatisation ».
La restauration sera dirigée par Florence Darbre, responsable de l’atelier de restauration de la Fondation Martin Bodmer depuis 1986. Elle a mené des projets de restauration de renommée internationale, notamment celui de l’Évangile de Judas.
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Livre pour sortir au jour (ou Livre des Morts)
Les Égyptiens croyaient en la vie après la Mort. Pour accéder à l’au-delà, ils devaient observer un certain nombre de rites et emporter dans la tombe le recueil de formules sacrées qui constituait, à leurs yeux, un guide pour continuer à vivre dans ce nouveau monde.
Ce document est composé d’environ 200 formules (ou chapitres) religieuses et magiques plus ou moins longues et indépendantes les unes des autres (contrairement à un Livre de l’Amdouat). Il était censé aider le défunt à réussir son passage vers l’au-delà. En fonction des moyens et désirs du client, le nombre de chapitres sélectionnés pouvaient différer et être combinés librement. Le Livre pour sortir ou jour était souvent illustré par des vignettes.
Analyses du PB101 avant restauration (images prises le 3 juillet 2020)
Cette première étape, conduite par l’entreprise Geneva Fine Art Analyses (GFAA), est dédiée à l’analyse des pigments et de la colle présent sur le papyrus. Les deux images ci-dessus (@FMB/Naomi Wenger) témoignent de deux moments successifs : après la première observation du document sous un stéréomicroscope (1ère photo), le Papyrus Bodmer 101 est étudié dans le détail de sa structure matérielle et de ses pigments (seconde image).
« Ces analyses préalables sont aujourd’hui devenues indispensables si l’on veut réaliser un travail de haute qualité sur des pièces rarissimes comme celle-ci », déclare Florence Darbre.
Hiver 2020-2021 : l’étape du « facing », le scotch et la colle d’amidon
Depuis plusieurs mois, des essais préliminaires sont lancés, en collectant des fragments de papyrus anciens pour leur appliquer différentes sortes de papier légèrement humidifié. Car l’intervention sur le PB101, après un rapide nettoyage superficiel au pinceau, consiste en un facing. A la Tribune de Genève qui consacra un article entier le 9 janvier 2021 à cette restauration, Florence Darbre nous explique : « Je vais appliquer sur la totalité du manuscrit un papier extrêmement fin, japonais ou européen, qui va maintenir les fragments en place et éviter que des morceaux ne se détachent lorsque je retournerai la pièce. » Dans un processus habituellement d’une extrême lenteur, il va falloir aller très vite : «Le facing doit se faire d’un trait en quelques heures.»
Sur l’envers, la suite des opérations consiste à détisser fil à fil la toile sur laquelle le document a été collé, probablement au début du XXe siècle, et qui, par la contrainte qu’elle exerce sur le papyrus, le fait gondoler et se craqueler par endroits. La colle appliquée alors a déposé avec le temps des zones blanchâtres, clairement décelables lors du passage sous les UV, qui devront être dissoutes patiemment à l’eau distillée.
Les résultats des analyses chimiques tombent et, heureusement, il s’agit de colle d’amidon : l’espoir est donc fort de la faire disparaître. Le scotch, abondamment utilisé en restauration lorsqu’il fait son apparition, cause en revanche des dégâts considérables aux manuscrits anciens, le collant du ruban pénétrant dans les fibres et les rendant très friables.
Dans les prochains mois, le document précieux devra être retourné, après l’avoir désolidarisé de son support textile. L’étape suivante sera donc d’opérer le décollement du papier apposé pour le facing. Toujours dans les colonnes de la Tribune de Genève, Florence Darbre nous résume la bonne nouvelle : « J’ai effectué quantité de tests, et la coloration brunâtre du papyrus, inégale selon les parties, devrait s’en trouver atténuée. »
Un peu de contexte historique
Grâce à notre égyptologue Andrea Palandri :
« De nombreux éléments de sa forme et de son contenu permettent de dater le PB 101 de la XXIe dynastie et de restituer sa provenance thébaine. À cette époque trouble de l’histoire égyptienne, la littérature funéraire connaît un important renouveau, qui marque considérablement l’évolution de la pensée religieuse au cours du premier millénaire avant notre ère.
À la fin du Nouvel Empire, Thèbes, la capitale méridionale et religieuse de l’Égypte, a perdu son faste d’antan. Le pouvoir royal gouverne, en effet, depuis près de deux siècles, depuis Pi-Ramsès dans le delta du Nil, délégant le sud du pays à un vice-roi. Affaiblis par de mauvaises récoltes qui provoquent une importante crise économique, les derniers pharaons ramessides peinent à imposer leur autorité et le pays se morcèle. Le clergé thébain profite de cette situation pour prendre le commandement politique et militaire du sud des mains du vice-roi et le Grand Prêtre d’Amon acquiert un pouvoir quasi-royal. Loin de déclencher une guerre civile, le roi du nord et le clergé thébain reconnaissent leur statut respectif et concordent une sorte de diarchie, dont l’équilibre durera tout au long de le XXIe dynastie.
Malgré cet équilibre politique, la crise économique continue à déstabiliser la sécurité interne de tout le pays. À Thèbes, les pillages des nécropoles royales et privées se multiplient et les artisans-mêmes de ces tombes sont inculpés. Cette insécurité, associée à la hausse considérable du marché, provoquent un changement drastique dans la pratique funéraire de la région thébaine ; l’objectif semble être, en effet, de réduire au minimum les coûts et l’implication de tierces personnes dans le creusement des tombes. Ainsi, non seulement les tombes collectives et les réemplois de caveaux déjà réalisés sont privilégiés, mais la décoration murale est elle aussi abandonnée.
Le papyrus devient donc, avec le sarcophage et les quelques éléments de mobilier, le seul support de cette foisonnante littérature funéraire qui tapissait auparavant les parois des tombes. C’est ainsi qu’une véritable « industrie du papyrus » voit le jour à Thèbes dans les ateliers du grand temple de Karnak et provoque une effervescente réflexion théologique qui mène à de nombreuses innovations aussi bien textuelles qu’iconographiques.
Chaque défunt semble dès lors devoir posséder deux manuscrits essentiels : un Livre pour sortir au jour (« Livre des morts ») et un Livre de ce qui est dans l’Au-delà (« Amdouat »). Le premier livre, ou devrait-on dire rouleau, est un recueil de formules issues de très anciennes compositions (notamment les Textes des pyramides et Textes des sarcophages). Autrefois réservé au roi, ce texte est largement popularisé auprès des dignitaires et riches artisans dès le Nouvel Empire et ne disparaîtra qu’à la fin de l’histoire égyptienne. Le Livre des morts offrait au défunt de nombreuses formules magiques permettant de le protéger dans son voyage dans l’Au-delà et de lui assurer sa « sortie au jour », c’est-à-dire sa renaissance au matin avec le soleil. L’Amdouat est, lui aussi, un ensemble de « Livres » (Livre des cavernes, Livre des portes, Livre de la terre, Livre du jour et de la nuit, etc.) réservés jusqu’ici aux plus hautes sphères du pouvoir. Toutefois, le roi ayant quitté Thèbes et ayant été supplanté par un Grand Prêtre, cette exclusivité n’avait plus lieu d’être. Ces compositions, dénommées de manière générale « Ce qui est dans l’Au-delà », livrait chacune une interprétation de la géographie et de l’organisation du monde souterrain, dans le but d’aider le défunt à s’orienter après la mort.
D’après les rapports de fouilles, il semblerait que chaque momie possédait un exemplaire de chacun de ces deux livres. L’Amdouat était placé entre les jambes de la momie et les enveloppait parfois même comme une bandelette. Le Livre des morts était, lui, contenu à l’intérieur d’une statuette en bois représentant le dieu mort Osiris et posée à proximité du sarcophage ou sur son couvercle. »
2021 : une année pour achever les travaux
Après le nettoyage à sec le papyrus a connu sa phase de consolidation des pigments. Avant toute opération, la surface du papyrus est protégée avec des feuilles transparentes à l’exception de la zone de la grande vignette, réservée par un chablon. Le traitement de consolidation est alors appliqué par nébuliseur.
Le PB 101 est ensuite placé dans une chambre d’humidité afin de « relaxer » le papyrus et la toile.
Fin mai 2021, la méthode du « facing » (cf. plus haut), qui utilise un papier de renfort, est utilisée. Sur la portion en photo ci-dessous sont appliquées plusieurs bandes, en surface du papyrus. Rappelons-nous : ce traitement assure que toutes les parties fragiles soient maintenues temporairement tout en protégeant la surface du document pendant les autres traitements de conservation.
Parmi les grandes étapes de cette restauration : la question des soulèvements. Comme une image est souvent plus parlante qu’un paragraphe, voici une comparaison en deux photographies :
A gauche, avant l’intervention, mi 2021, et à droite, un autre segment du Papyrus Bodmer 101, après la restauration.
Une autre étape décisive de la restauration fut le retrait de la doublure en toile.
Comme on peut le voir sur ces dernières images (à gauche, avant restauration), le papyrus est doublé sur toile avec lacunes visibles. Sur la photo de droite, on voit qu’après restauration, le papyrus est débarrassé de son doublage en toile. Les parties lacunaires ont été mises au ton et le document maintenu sur un carton non acide.
La présentation au public
Le 18 et 19 juin 2022, le papyrus sera présenté au public de la Fondation !
En effet, dans le cadre des Journées Européennes de l’Archéologie, des sessions gratuites mais à petit nombre de privilégiés seront organisées pour s’approcher de ce mythique témoin de l’histoire.
Ce sera l’occasion de prendre une dernière série de photographies pour venir clôturer cette aventure, ainsi que cette page dédiée !
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