Conservation-restauration des deux manuscrits japonais du 17ème siècle : les CB 601 a et b – Ise Monogatari
Les Contes d’Ise relatent la vie et les aventures d’un jeune homme sous la forme de 125 chapitres et poèmes illustrés de peintures en pleine page. Il s’agit de Nara ehon, manuscrits illustrés japonais, qui ont été datés entre 1661 et 1704. Présents dans la collection sous les cotes Codex Bodmer 601 (a et b), il s’agit d’un de nos fleurons asiatiques. Avant de vous immerger dans ce dossier d’atelier, vous pouvez découvrir l’œuvre grâce à la numérisation intégrale, à retrouver en ligne ici et ici !
Description codicologique
Les feuillets des corps d’ouvrages sont réalisés en papier tori-no-ko ou hishi, un papier de très bonne qualité et composé à base de fibres de gampi qui lui donne un aspect lisse, lustré et qui permet sa calligraphie recto-verso. Le sens de lecture va de droite à gauche.
Les peintures en pleine page ont été réalisées à partir d’une palette large de couleurs appliquées par couches successives plus ou moins épaisses, opaques ou en lavis, ainsi que de rehauts à l’or et à l’argent sous forme liquide. Le décor des marges se compose de feuilles d’ors de différentes couleurs appliquées sous forme de petits carrés selon la technique kirikane.
Les pratiques d’atelier et les analyses scientifiques récentes sur des œuvres similaires rapportent l’utilisation de pigments minéraux pour la réalisation de ce type de peintures : rouges – vermillon ; bleus – azurite ; jaunes – orpiment ; verts – malachite ; noirs – à base de carbone ; blancs – de plomb ou de coquilles de mollusques gofun. Certains végétaux ont également pu être utilisés (indigo…). Dans le cas présent, et sous réserve d’analyses approfondies, nous pouvons supposer que ces descriptions correspondent aux techniques observées sous microscope.
Traitements effectués
Les traitements de conservation-restauration ont été envisagés dans le but de rendre aux ouvrages leur lisibilité et leur possibilité de mise en valeur (exposition) tout en limitant les risques de détériorations mécaniques immédiates et irrémédiables (pertes de matière, frottements et abrasions des peintures, décollement et lacunes des papiers dorés des couvertures, décollements des feuillets illustrés…). Il s’agit des interventions minimales jugées nécessaires dans le cadre d’une conservation en milieu muséal, réalisées selon des techniques et avec des produits au degré de réversibilité et d’innocuité les plus élevés possible. Les interventions ont eu lieu entre septembre 2020 et janvier 2021 dans le nouvel atelier de restauration de la Fondation.
Les reliures
Les reliures des deux volumes se composent chacune de 4 cahiers reliés par des passages de fils de soie colorés entre les cahiers, sans supports, et d’une couverture en tissu. Le tissu de la couverture semble être un brocart de soie et or, composé d’une base de textile de soie de couleur ocre sur laquelle est broché le motif à l’aide de fils de papier dorés. Les fils de papier dorés présentent une couche d’assiette rouge sur laquelle la feuille d‘or a été appliquée puis découpée en fils d’environ 1mm de largeur.
Au cours des années et des manipulations, de nombreux fils se sont soulevés, emmêlés voire rompus. L’application localisée de colle d’amidon de blé épaisse sur la partie papier des fils dorés a permis de les assouplir puis de les replacer sur la couverture. Cette intervention a nécessité un contrôle particulier de l’humidité de la colle et de la pression appliquée sur les fils afin de ne pas déstabiliser la fine couche de feuille d’or sur son assiette (couche de préparation).
Les peintures
Les pigments vert (malachite) et noir des peintures présentaient une légère pulvérulence (texture poudreuse instable sur le papier) ainsi que des soulèvements, craquelures et lacunes.
Une vérification de la stabilité des couches picturales a été effectuée sous microscope de grossissement x60. Un pinceau de très petit calibre a été utilisé pour tester la cohésion intrinsèque de la couche picturale et sa bonne adhésion au support papier.
Les zones fragilisées ont été stabilisées par l’application au pinceau de colle de vessie natatoire d’esturgeon (1,5% dans l’eau) ou par nébulisation du même type d’adhésif (0,5% dans l’eau) de manière localisée selon les besoins.
L’altération chimique (corrosion) de verts au cuivre dans certains décors a entrainé une décoloration brune du papier ainsi que sa dégradation mécanique (ruptures, lacunes) typiques de l’altération des pigments « verdegris ».
Leur consolidation est réalisée par application de très fines bandes de papier japonais (pur kozo, 3,5g/m2) préencollé d’un mélange de colle d’amidon de blé et de méthylcellulose au verso du papier d’œuvre.
Enfin, un conditionnement sur-mesure a été réalisé en carton permanente, et des mesures particulières seront prises lors des manipulations éventuelles de ces volumes à la fois si précieux et si fragiles.