1. Livres du Cabinet de Pierre Berès
du 18 mai au 1er août 2004
Quatre ans avant sa mort, la Fondation Martin Bodmer organisait pour sa première exposition dans son nouveau Musée, la présentation des merveilles de la collection de Pierre Berès, « le plus grand collectionneur de livre de tous les temps ».
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2. Autour des Karamazov
Alexeïeff, Pogedaieff, lithographies et fusains
du 31 août au 26 septembre 2004
En 1929, un constructiviste russe, Alexandre Alexeïeff (1901-1982), artiste-artisan, contemporain de Braque et de Picasso, inventeur du film d’animation sur écran d’épingles (voir le prologue du Procès d’Orson Welles), recréait en une suite de cent lithographies consacrées aux Karamazov pour son éditeur et ami Jacques Schiffrin, fondateur de « La Pléiade », ce jeu d’ombres et de lumières qui semblent danser sur les parois d’une caverne faite de nos effrois, de nos délires, de nos visions. Et « le vieux Karamazov, avec sa trogne écartelée par un rictus de masque grec, nous l’avons regardé dansant avec furie, mèches noires en cornes diaboliques, cherchant à écraser le cafard qui rampe devant lui » (Georges Nivat). Expression de la haine entre père et fils, et symbole de la luxure du vieillard lubrique.
En septembre 2004, la suite des cent gravures a été exposée à la Fondation Martin Bodmer et le CAC Voltaire a projeté dans un même hommage à Alexeïeff Une nuit sur le Mont chauve et le Procès. Un catalogue, rédigé par le commissaire de l’exposition, le professeur Georges Nivat, en a gardé précieusement la mémoire.
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« Alexeïeff, ce magicien, a franchi d’un pas léger les frontières des arts. La gravure, l’eau forte, sont des métiers qui pratiquent le trait, le trait dur et définitif, la gravure a longtemps servi à fixer les traits des personnages célèbres, a popularisé les tableaux illustres que le quidam ne pouvait pas voir, elle véhiculait un squelette plus ou moins grossier des choses. Alexeïeff lui a fait jouer un rôle de transgresseur, de pont sensuel entre les arts, entre poésie plastique et dessin de la fable, et même entre le fixe et le mobile puisque ses films animés sont plutôt des gravures animées, touchées par le rameau enchanté de la lumière en marche. Car la lumière donne son souffle à tous les textes qu’il touche, qu’il effleure, et qu’il accompagne avec tant de profondeur que souvent ce sont les textes qu’il a touchés qui semblent accompagner la mélodie en noir et blanc de ses illustrations.
En lisant et en regardant ces diptyques merveilleux que sont Les Frères Karamazov de Dostoievski-Alexeïeff ou La Dame de pique de Pouchkine-Alexeïeff, je me suis demandé si la transmutation opérée par Alexeïeff ne correspondait pas à cette « éjaculation lyrique immobile » dont parle Julien Gracq à propos de l’aria. Pour se laisser pénétrer par ce lyrisme immobile, mais tout trépidant de mouvement interne, il faut appréhender l’œuvre du romancier et de son illustrateur comme une seule œuvre, autrement dit il faut renoncer à ce concept bâtard et serviteur de « l’illustration ». Alexeïeff n’illustre pas, il transmue, il pénètre dans la logistique même du texte poétique, et il l’irradie de lumière. »
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3. Eros invaincu
La bibliothèque de Gérard Nordmann
du 28 novembre 2004 au 15 mai 2005
La bibliothèque Gérard Nordmann (1930-1992), que les spécialistes s’attachent à déclarer référentielle dans son domaine d’élection, l’érotisme, compte près de deux mille livres, manuscrits, lettres, documents et curiosa. De ce cabinet aussi riche qu’étonnant, aussi complexe que secret, constitué de pièces rares et rarissimes, Eros invaincu propose pour la première fois quelque cent trente-cinq ouvrages, précisément décrits, commentés et illustrés avec soin : des anonymes, mais aussi des noms mêlés d’écrivains et d’artistes souvent célèbres, qui vont d’Apollinaire à Voltaire et de Bellmer à Rowlandson.
On connaît l’histoire des 120 Journées de Sodome, ou l’Ecole du libertinage, composées par Donatien de Sade (1740-1814) à la Bastille. L’auteur le dissimula aux yeux de ses gardiens sous la forme d’un rouleau de 12,10 m de long et de 11,5 cm de large, fait de feuilles de papier collées bout à bout, couvert recto et verso (en partie) d’une écriture excessivement minuscule et serrée. Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789, parce qu’on craignait la présence de «cet être que rien ne pouvait réduire» et qui venait, s’aidant d’un porte-voix improvisé, d’ameuter la foule massée au pied des murailles, Sade fut enlevé, «nu comme un ver», selon ses dires. Force lui fut alors d’abandonner dans sa prison toutes ses affaires personnelles et ce manuscrit, avec d’autres. La forteresse prise, pillée et démolie, le rouleau fut ramassé dans les ruines et se retrouva à la fin du XIXe siècle en Allemagne, aux mains d’un amateur qui le confia à Iwan Bloch (Eugen Dühren), lequel en procura la première édition. Ce fut la renaissance et la naissance de ce diamant noir de la Geistesgeschichte moderne.
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